Une démarche d’intelligence économique contrariée : Impact de la non-qualité des données en contexte sub saharien au travers d’une proposition de recherche

Marc Bidan

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N°1 / Varia

Une démarche d’intelligence économique contrariée : Impact de la non-qualité des données en contexte sub saharien au travers d’une proposition de recherche

Marc Bidan

Résumé

Mots-clés

pertinence

Frugalité

médiocrité de la qualité des données collectées

Afrique Sub Saharienne

Etudes de cas enchâssées

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1) Introduction et mise en contexte sub saharien Même si le contexte africain est lié au contexte mondial – notamment avec des crises sanitaires et sécuritaires majeures qui ont souligné l’importance des outils et technologies numériques dans nos écosystèmes connectés et inter opérants (Ågerfalk et al., 2020; Godé et al, 2020, Dugoin, 2022, Filippeti, 2022) – il demeure largement singulier notamment en ce qui concerne la nature des données, les processus de prise de décision d’ordre prédictif, prescriptif et analytique… et plus largement les mécanismes d’intelligence économique. Nous nous attacherons donc dans le cadre de cet appel à article sur l’IE en Afrique à répondre à la question intéressante suivante « - Qu’y a-t-il d’africain dans les pratiques et les dispositifs d’intelligence économique en Afrique ? » en montrant que la spécificité – une des plus massive dans la problématique du déploiement de l’IE en contexte africain – est relative à la donnée et à son statut. Il ne s’agit pas ici de se focaliser sur son traitement mais plutôt sur son accessibilité et sur sa collecte tout d’abord puis sur sa qualité, son actualité et – bien évidemment - sa pertinence. La question de la pertinence de la donnée en contexte africain est en effet au c&oelig;ur de cet article car nous ne reviendrons en effet pas véritablement sur l’intelligence économique comme un impératif majeur pour les entités souhaitant intégrer l’économie internationale mais plutôt sur sa fabrique, ses mécanismes intrinsèques et notamment sa matérialité au travers des données. 2) Considérations théoriques sur l’IE en 2023 Dès les années 1960, Harold Wilensky proposait une définition de « L’intelligence organisationnelle » qui abordait l’intelligence économique comme l’activité de production de connaissances servant les buts économiques et stratégiques d’une organisation, dans un contexte légal et à partir de sources ouvertes (Wilensky, 1967). Bien plus tard au début des années 2000, l'intelligence économique (IE) reste un domaine qui vise à collecter, analyser et exploiter des données, des signaux forts/faibles, des informations que l’on postule comme stratégiques, ou a minima utiles, à la prise de décision (Larivet, 2006). L’idée est ensuite de pouvoir efficacement développer la compétitivité et la performance – et donc d’assurer la croissance et la pérennité - de l'entreprise ou de l’organisation plus généralement. Il apparait ainsi que l’IE peut également être qualifiée de « pratique » à la fois en tant qu’alignement avec un outil d’aide à la décision et en tant que déploiement d’une réelle habileté cognitive (niveau individuel) ou agilité organisationnelle (niveau collectif) à comprendre et à influencer un environnement complexe. Toutefois ce domaine, cette démarche, ce mécanisme, cette pratique, répond toujours à une double logique – l’IE est en effet à la fois un processus et un résultat – et repose sur des données dont les caractéristiques se doivent d’être de qualité, actuelles, factuelles, sincères, confidentielles, disponibles, intègres et – en d’autres termes – pertinentes afin de fabriquer une information utile et exploitable dans un mécanisme de décision stratégique. Le triptyque « données, information, connaissance » est en effet à la base de la fabrique de l’IE (Morinot, 2013 ; Godé et al, 2020). 3) Considérations empiriques sur la donnée et sa nature Dès lors, les données et plus tard – lorsqu’elles sont traitées et intelligibles - les informations deviennent un enjeu stratégique pour asseoir une performance globale (attitude agressive) et pour défendre la compétitivité globale d’une organisation (attitude défensive). L’importance des données, de l’information, des connaissances en tant que matière première – que carburant des performances économiques et de la qualité de l’IE - n’est pas apparue que récemment au fur et à mesure que les acteurs se sont aperçus que l’information économique n’est pas un bien comme les autres dans la société du savoir (Morinot, 2013). Il semble désormais clair qu’une entreprise devancera ses concurrentes si elle détient bien avant les autres les bonnes informations. C’est une évidence mais en plus elles doivent arriver au bon moment, au bon destinataire, au bon format et au bon endroit et nous pensons ici aux systèmes d’information, à l’intelligence artificielle et aux chatbot (Quinio et Bidan, 2023). En guise de rappel, nous pouvons simplement noter que le terme de « données » est lié à des mesures ou à des captations de signaux effectués sur des objets, des individus, des évènements ou toute autre unité statistique captable (voiture, machine, puce…). Ensuite, les données brutes sont numérisées – codées – ou non numérisées – codage manuel – pour être traitées et regroupées par formats type de données (textes, chiffres, images, son, vidéo, etc.). Il est évident que la phase de collecte des données est essentielle dans tout processus de décision car après leur traitement pour devenir « intelligible » pour le cerveau d’un humain et/ou pour celui d’une machine (un logiciel, un robot, un véhicule, etc.) les données deviennent des informations c’est-à-dire des éléments de réponse à une question potentielle ! Ensuite, lorsque ces informations sont diffusées, partagées voire validées au sein d’une communauté, elles quittent généralement leur statut individuel pour devenir connaissance collective notamment en contexte international et numérique (Deltour, 2014).  4) Considérations sur l’articulation données et IE en contexte sub saharien   La question de la donnée et de son accessibilité est sensible et notamment en Afrique. La fabrique de l’IE peut être biaisée par la qualité de la donnée en elle-même et par complexité de la collecte des données – bien avant celle liée à leur traitement - en raison de facteurs perturbateurs tels que la divergence culturelle (oralité), les barrières linguistiques (les langues et dialectes) et les différences de niveau de développement économique et social entre les pays notamment ceux de la bande sahélo-saharienne et de l’UEMOA. La collecte de données en Afrique peut également être rendue difficile en raison de l'insuffisance numérique et qualitative des infrastructures de base (réseaux de télécommunication, réseaux et stabilité de l’électricité, capital cognitif, etc.), des institutions et des systèmes de collecte de données. En outre, il peut y avoir des obstacles juridiques (propriété des données, droit d’auteur), règlementaires (secret des affaires), tribaux (redevabilité), claniques (hiérarchie des données) et même éthiques (nature des données) lorsqu’il s’agit de collecte et de l’exploitation des données personnelles. Aussi bien leur définition est-elle même sensible en contexte eu égard à l’absence de texte ou de volonté/possibilité de les faire appliquer dans certains pays sub saharien. Qu’est-ce qu’une donnée personnelle ? Est-ce que la définition mobilisable en contexte africain est celle proposée par RGPD en Europe ou même de la loi PIPL en Chine (Bidan et al, 2021) ? Probablement pas ! Cette ambiguïté sur la définition et la nature de la donnée – personnel, professionnel, publique, privée…- rendre délicat l'obtention de données de qualité notamment dans la plupart des pays de l’espace UEMOA (Kerrazi, 2020, Ouedraogo et al, 2022) contrairement aux collaborations existantes hors UEMOA (Dugoin 2022, Houré, 2020). Il y a donc bien une spécificité sub-saharienne que nous pouvons mettre en lumière en exploitant le cas des pays de l’espace UEMOA et de leur interopérabilité économique. <a name="_Hlk132558436">L</a>’Internet Society et la Commission de l’Union africaine (2018) rappellent conjointement la nécessité des données de qualité en ces termes : « les données à caractère personnel doivent être exactes au moment de la collecte, et des mesures raisonnables doivent être prises pour s’assurer que leur exactitude est maintenue pendant la période de conservation. » Au sens de la loi n° 001-2021 /AN du 20 avril 2021, portant protection à l’égard du traitement des données à caractère personnel les données à caractère personnel au Burkina Faso se définissent ainsi : « toutes informations relatives à une personne physique identifiée ou identifiable, directement ou indirectement, notamment par référence à un numéro d’identification, à un ou plusieurs élément (s) propre (s) à son identité physique, physiologique, génétique, psychique, culturelle, sociale ou économique. » Cette définition varie sensiblement d’un pays à l’autre. 5) Transition empirique et proposition d’agenda   Nous allons à présent proposer un agenda de recherche, une démarche empirique – via des études de cas enchâssées car elles permettraient de transformer les signaux faibles perceptibles ici ou là et signaux captables et exploitables  - qui contribuerait à montrer au combien la médiocre qualité des données collectées en amont sur le terrain perturbe le processus de fabrication de l’intelligence économique mais que cette médiocre qualité de facto est compensable de façon significative par une acceptation de frugalité (Frimousse, 2023)  et une exigence de pertinence (Godé et al, 2020) 6) Une proposition de méthodologie qualitative par études de cas enchâssées Malgré ces défis voire ces obstacles, nous proposons de montrer dans cet article à visée pragmatique – qui serait basé sur trois études de cas de grandes organisations burkinabè, ivoirienne et nigérienne - que la collecte de données fiables et exploitables même si elle est délicate et singulière reste une condition sine qua non au déploiement d’une démarche d'IE. Mais que cette fiabilité et cette exploitabilité sont reductibles à la frugalité et à la pertinence. Par exemple OpenAI vient de montrer au travers de son robot conversationnel ChatGPT que seules 390 Gigas Octet de contenus alphanumériques (antérieurs à 2021) peuvent suffirent – si ils sont bien entrainés par le « transformer » - à fabriquer du contenu vraisemblable ! Nous procéderions par triangulation méthodologique en mobilisant la revue documentaire, l’enquête par entretien et l’observation non participante. Nous aimerions ainsi montrer que le verrou reste la qualité de la donnée collectée et ensuite – mais seulement ensuite – son traitement plus ou moins biaisés par les stéréotypes véhiculés par les collecteurs de données et les répondants aux questionnaires – s’il s’agit de données brutes – et les bases de données – s’il s’agit de données codées - Notre proposition d’agenda est donc basée sur les cas burkinabè et voisins et elle décrypte la fabrique de l’IE africaine oscillant entre une précision inatteignable et une pertinence acceptable. Cet agenda est à la fois empirique pour la mise en lumière de la complexité liée à la donnée collectée – que nous qualifierons de dégradée - et théorique pour la mise en perspective du concept – d’intelligence économique frugale - qui repose sur une rareté des ressources et des moyens pour les traiter mais également sur une efficience tout à fait notable de l’IE qui est finalement déployée à l’intérieur de l’écosystème UEMOA et qui contribue à l’intégration et à l’interopérabilité des systèmes d’information des entreprises et acteurs de cet espace. Nous pourrions aussi à nouveau convoquer les travaux de Morinot pour présenter les trois logiques de traitement des données selon qu’elles nourrissent au sein des organisations une démarche d’IE, de gestion de la connaissance ou de simple veille comme ce fut le cas dans nos investigations. Le traitement des données recueillies se ferait par les méthodes de l’analyse de contenu automatisée via le logiciel d’analyse sémantique et text mining TROPES VF.5-2018. Nous nous apuierons sur cette shénmatisation des catégories d’information pour privilégier ou non les données à collecter sachant que les outils pour les traiter – en Afrique sub saharienne – ne sont pas disponibles  y compris l’énergie – électricité, réseau, eau, compétence, etc.- nécessaire à leur traitement et analyse ! La frugalité des données devient alors une qualité indispensable à leur traitement – non énergivore – de façon à ce que l’exploitation des signaux forts et – surtout – faibles soit simplement envisageable  avec les moyens disponibles !   7) Préconisation managériales et organisationnelles A ce propos le rattrapage technologique et organisationnel africain passerait en autres par la ratification, la mise en &oelig;uvre (effective) de la convention de l’Union africaine sur la cyber sécurité et la protection des données personnelles adoptée le 27 juin 2014. Elle a été intégrée dans les directives de la CEDEAO et transposée en droits internes et lois nationales spécifiques résultant de la culture juridique des États concernés et des enjeux actuels. Nous notons aussi pour documenter cette dimension technologique, qu’en vue de la couverture des besoins numériques du continent au cours de la décennie à venir, il faudrait construire au moins 700 entrepôts de données de taille moyenne selon Africa Data Center Association en 2022.   <img height="384" src="https://www.numerev.com/img/ck_3040_18_image-20230524155751-1.png" width="565" /> 8) Résultats principaux autour du rôle de l’effectuation    Nous nous retrouvons – sous réserve de la mise en &oelig;uvre de cette démarche méthodologique via trois études de cas - sur une IE qui reste assimilable à une double logique. Cette double logique qui sous-tend la fabrication de l’IE en Afrique sub-saharienne procède d’une démarche plutôt efficiente et effectuale (Oruezabala, 2020) qu’efficace et entrepreneuriale. D’une part en tant que résultat, l’IE repose plutôt sur une gestion de connaissance que sur un réel outil d’aide à la décision stratégique. La documentation, la capitalisation des bonnes pratiques et leçons apprises s’installent de plus en plus au sein des entités. D’autre part en tant que processus, elle se rapproche d’un déploiement d’objet-frontière c’est-à-dire que ce mécanisme s’apparente à la mise en commun du small data (petit nombre d’informations pertinentes, exploitables à l’échelle humaines et actuelles) plutôt qu’à un traitement instrumentalisé big data basé sur un grand nombre d’informations souvent biaisées, inintelligibles et obsolètes. Nos résultats montrent que la « veille » porte d’entrée de l’IE et  la « gestion des connaissances » supplantent l’IE dans les pratiques mais qu’ainsi les organisations restent en réseau – elles « font » réseaux- et augmentent leur chance de survie.  Ils montrent par ailleurs que la pratique de l’IE dans l’espace UEMOA est toujours dominée par le renseignement d’origine humaine (ROHUM). Les méthodes de veille active connaissent une phase d’adoption ascendante.  Les techniques de collecte de données automatisée (Systèmes d’alerte, flux et agrégateurs RSS, outils de curation et de social bookmarking) sont encore à un stade embryonnaire. L’expression de l’IE dans les entreprises investiguées est partielle. Le cycle de l’information est insuffisamment organisé et structuré dans ses différentes phases : planning, collecte, stockage, traitement, analyse et diffusion.   Ces résultats sont extensibles à l’Afrique subsaharienne. Longtemps considéré comme une colonie numérique, le marché africain ambitionne de renforcer sa souveraineté digitale par la construction des datacenters modernes (Orange Côte d’Ivoire) répondant aux normes de certification Tier et la  formulation de stratégies pertinentes au BF et au Niger. Nous préconisons donc un relèvement du capital technologique (datacenter, matériel, reseaux, etc.) mais surtout du capital humain local (ingénieur, technicien, managers, cadres, etc.) et une mutualisation des infrastructures de communication électronique dans les pays à avantages relatifs comme les agences spécialisées d’analyse et de diffusion. Nous préconisons enfin un accompagnement à la « culture de l’innovation incrémentale et frugale » assortie des techniques de reverse engineering qui pourraient contribuer à réduire la fracture numérique et accompagner, par l’IE et pour l’IE, le développement économique et social tant escompté   Bibliographie Ågerfalk, P.J., Conboy, K., Myers, M.D. (2020). Information systems in the age of pandemics: COVID-19 and beyond, European Journal of Information Systems, 29(3), 203-207. Anasse, A., Bidan, M., Ouedraogo, A., Oruezabala, G. & Plane, J. (2020). Alternatives africaines en management: Entre frugalité et agilité. 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Marc Bidan

Professeur des universités
Polytech
LEMNA
University of Nantes

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